Peu de nouveaux nés ont à ce jour crié aussi fort que Seth lorsqu’il vint au monde. Ses vagissements coléreux, prémices de ceux qui viendraient plus tard, firent rire les deux Audacieux qui tenaient dans leurs mains tannées leur premier et seul enfant.
Certains disent qu’il n’y a pas dans la vie de plus grande expérience que la naissance, d’autres essayent de prouver le contraire, Seth faisant depuis et pour toujours partie des seconds. Mais à la vérité, il est probable que même l’homme le plus téméraire de la faction à la flamme ne trouvera jamais quelque chose qui fasse battre son cœur autant qu’au premier jour.

Seth était un enfant désiré, aimé et choyé plus qu’aucun autre, aussi fut il entraîné en conséquence, poussé à ses extrêmes limites dès qu’il sut marcher. Petit, il veilla des nuits entières pour faire face au noir, courut dans des couloirs où des chauves-souris sommeillaient à l’époque où rien ne lui faisait plus peur que ces bestioles, grimpa puis redescendit des falaises à main nues lorsque son père crut déceler en lui un risque de vertige, il resta de longues minutes la tête sous l’eau, les mains près du feu, le visage à quelques centimètres d’une lame, il s’accrocha avec les pieds, les mains à des barres de métal ou de bois, à des saillies de rochers, au dessus du vide, de torrents en furie, de forges brûlantes durant des minutes, des heures, des jours entiers. En somme, il mena une enfance Audacieuse tout ce qu’il y a de plus classique. Et il avait adoré ça comme tous les autres.

Tous les enfants Audacieux connaissaient le Skytrans depuis leur première sortie. Les grands le prenaient tout le temps pour patrouiller, se rendre autre part dans la Ville, pour aller au lycée. Par un décret tout à fait aberrant aux yeux de leur fils, Jared et Mel Keating avaient formellement interdit à Seth de tenter de monter seul dans les wagons jusqu’à ce qu’il soit en âge d’aller au lycée. La raison ? « Trop dangereux ». Après tout ce qu’ils lui avaient fait subir, il n’avait pas le droit de monter dans une rame ?

Il avait grimpé sur le toit, sentant l’adrénaline parcourir son corps plus fort que jamais. Les vibrations dans le sol s’étaient multipliées, renforcées et il avait souri. Il avait attendu que les premières voitures défilent et s’était élancé. Il avait neuf ans.
Pour commencer, il avait failli tomber dans le gouffre entre le toit et les rails, puis en s’agrippant il était parvenu à se hisser sur le sol métallique, se foulant le poignet en retombant de tout son poids dessus. Il s’était violemment cogné la tête, et pour ne rien arranger, campée sur ses deux jambes, sa mère l’attendait dans l’ombre. Pire que de le gronder, elle s’était moquée de lui. Si c’était pour faire si mal quelque chose de si simple, il aurait mieux fait de s’abstenir de désobéir. La punition avait duré trois jours, trois jours durant lesquels il n’avait pas eu le droit de sortir de sa chambre, trois jours avant que ses parents, pris de pitié, le laissent sortir et se mettent à l’emmener régulièrement sur le toit pour apprendre à monter, et à descendre. Les battements du cœur du petit garçon s’étaient vite calmés, de sorte qu’à sa première rentrée, il était prêt.

Premier jour d’école pour les Natifs Audacieux, la rencontre tant attendue, mais jamais redoutée de membres d’autres factions. « Non, Seth, on ne dit pas les factions adverses, nous sommes une société de paix qui le reste grâce à la bonne entente commune, tu m’as compris ? Pas de méchanceté ! » « Même avec les pète-secs ? » « Surtout avec eux. Tu respectes ceux qui donnent, tu respectes encore plus ceux qui gouvernent. Attention, Seth, je ne laisserai rien passer. » « Oui, maman. » « Tu ne me mens pas ? » « Mais je mens jamais ! »
Il s’y était tenu. Pas une insulte, pas une moquerie n’avait en dix ans d’école franchit les lèvres de Seth lorsqu’il était en présence des autres. Aucun Altruiste n’avait eu à se plaindre de lui, pas un Erudit n’avait eu quelque chose à redire à son comportement, nul Fraternel n’avait eu à se faire violence pour le traiter comme un frère, et zéro Sincère n’avait eu à lui dire ses quatre vérités. A la surprise de tous, le jeune Audacieux n’avait jamais faiblit, gardant en public un comportement exemplaire et se défoulant le soir en tapant dans les sacs de boxe. Cela, sa mère ne lui avait pas interdit, de donner des noms à des poches de sables, n’est ce pas ?

Il était Audacieux, il n’avait peur de rien. Seth avec les autres et de grands cris de joie jaillit du wagon ouvert jusqu’à sur l’herbe, s’attirant les regards curieux ou réprobateurs des membres des autres factions. Le sérum injecté, il avait fait aussi bien qu’il avait pu, c’est à dire qu’il s’était montré assez parfait pour qu’avec un froncement de sourcils son Testeur lui annonce qu’il était un Audacieux. Sans doute le Sincère avait-il quelque chose contre les combattants, il ne pouvait tout de même pas avoir découvert quelque chose de spécial, n’est-ce pas ?
Le lendemain de ce jour, sans hésitation le jeune homme avait laissé couler son sang sur les charbons ardents, et tous l’avaient acclamé comme l’un des leurs, comme si une autre option avait été possible.
Initié, rien n’avait changé pour Seth, il avait tout simplement continué à avancer, peut-être en commençant à avoir un peu trop foi en lui. Même découvrir ses plus grandes peurs ne l’avait pas arrêté. Il s'était battu lorsqu’on le lui avait commandé, avait frappé plus de garçons et de femmes à terre qu’il ne pouvait en compter, avait visé des cibles fixes ou mouvantes, bref il avait parfait son éducation déjà presque complète. Il poursuivait son rêve depuis tellement longtemps, devenir Nightingale, que rien ne pouvait l’arrêter.

« Seth Keating, quatrième. Félicitations ». Il ne se souvenait même plus de la personne qui lui avait adressé cet affront. En lisant son nom après celui de Rorschach Austos et Gengar Leafon il avait été à deux doigts de pleurer. Bien sûr qu’il ne l’avait pas fait. Il s’était éclipsé, et avait hurlé sa colère dans un coin du repaire audacieux, avant d’aller s’abimer les mains en tapant contre les sacs de sable, peut-être même contre les murs de la salle d’entraînement, puis il était allé se faire tatouer un rossignol sur l’omoplate droite, et un cercle vide, pour l’humilité. C’était sensé être un rappel, mais c’était juste des formes, des images, qui ne changèrent rien, qui ne réussirent même pas à le rendre plus amer. Il avait raté son heure de gloire, mais s’il était destiné à quelque chose d’encore plus formidable ?
Il avait mit un an avant d’arriver à cette conclusion qui était plus une béquille qu’autre chose, pour l’aider à se tenir. Durant cette année, il avait été indigne de ses pairs, faible, pitoyable, lâche. Il n’y avait heureusement eu que lui et sa mère pour s’en rendre compte, aucun Audacieux n’avait eu de soupçon par rapport à son état. Quand il s’était remis debout et avait recommencé à se tenir droit, il n’avait pas abandonné son orgueil. Il était toujours un combattant, il en valait bien dix des autres factions, même s’il n’était pas de la garde rapprochée de Soren. Il s’était repris, avait décidé d’être formateur des Natifs, pour ne pas se trouver trop près de la médiocrité, et il avait recommencé à sourire et ses proches l’avaient retrouvés.

Il en était à sa deuxième année en tant que formateur, l’année précédente il avait perdu quatre natifs, et se devait d’en mener plus à bout cette fois-ci. Ne pas se laisser voler la vedette par les deux autres Instructeurs des Transferts. C’était une bonne année pour lui : un vrai travail, deux nouveaux tatouages et un piercing, quelques filles et pas mal de sorties à l’extérieur. La vie qu’il aimait.
Et puis elle avait débarqué, pas une pète-sec mais presque, une érudite, un rat de bibliothèque. Avec ses cheveux blonds et longs, comme si c’était pratique. Evidemment et heureusement elle n’était pas dans son groupe, mais il la croisait un peu trop souvent à son goût. Un jour, où bien même la première fois qu’ils s’étaient retrouvés face à face il lui avait dit sa vérité : qu’elle ne passerait jamais, qu’une audacieuse, elle, il n’y croyait pas un instant, que les Sans-Factions devaient déjà lui avoir réservé un lit, une poubelle plutôt. La seconde fois, c’est au milieu du réfectoire qu’il l’avait attaquée, à propos d’il ne savait même plus quoi. Sa blondeur, peut-être, son visage d’ange et ses origines. Les gens alentour avaient ri, elle n’avait pas fait signe d’être touchée. Ensuite, il avait continué à s’amuser mais elle ne disait rien, alors il s’était lassé.
Et puis cette peste qui cachait bien son jeu avait terminé quatrième à l’initiation. Quatrième comme lui, et puisque ça ne lui était pas assez douloureux qu’un Transfert atteigne son niveau, elle était venu lui balancer tout ce qu’elle avait caché durant ses premières semaines dans la Fosse. Ce jour là, il avait commencé à comprendre qu’elle n’était pas si cruche. Et qu’il n’était pas si moqueur pour rien.

L’année suivante, elle était Formatrice. Lui aussi. Les Initiés n’avaient rien su de leur inimitié, ils étaient impeccables devant eux. Mais dès qu’ils se trouvaient dans un couloir isolé, il relançait une pique à propos de sa façon de faire, de s’habiller, de se faire tatouer ou même de se coiffer. Et elle lui reprochait la même chose : ils s’engueulaient comme des chiffonniers pour absolument aucune raison. Et il prenait son pied. Enfin, il avait prit son pied jusqu’à comprendre, tout de même, qu’il allait trop loin. C’était un des derniers jours de l’année et il lui avait dit que jamais elle n’aurait sa place parmi les combattants. C’était la première fois où il l’avait vu touchée, c’était pire que si il lui avait craché au visage, même si l’expression sur le visage de la blonde avait été extrêmement fugace.
Le lendemain même, il s’excusait. Il ne savait même pas pourquoi il avait dit une chose pareille la veille, et pour la première fois il lui avait dit la vérité : il avait reconnu sa place méritée parmi les Audacieux. Il lui avait même expliqué pourquoi il était si jaloux de sa place. Humble pour la première fois de sa vie sans doute il lui avait demandé pardon, avant de perdre contact jusqu’à l’Initiation suivante.

A ce moment vraiment il ne voulut plus la lâcher, se contentant d’apprendre sur elle, de discuter à propos de tout et surtout à n’importe quel moment. Elle était plus féroce et plus forte qu’il ne l’avait jamais pensé, et surtout elle était libre, comme lui. Il voulait apprendre comment elle en était arrivée là, même si elle disait qu’il n’y avait rien de particulier. Jamais il n’avait eu de connaissance plus chère qu’Ellie. Il la laissa même l’appeler Seth et non pas S. L’initiation, et une année de plus, durant laquelle il l’avait laissé prendre de plus en plus de place pour lui, plus de place qu’aucune personne avant elle n’en avait occupé, mais de toute évidence elle ne comprenait rien. Lui non plus, remarquez, mais il semblait plus proche de la vérité, raison pour laquelle il avait prit les choses en main. L’année 2278, au moment où sa quatrième année de Novices découvrait leurs résultats, il s’était penché sur elle et l’avait embrassée. Il avait dit son nom, elle s’était tournée vers lui, curieuse, et avant même d’avoir à y penser, ses lèvres touchaient les siennes, c’était aussi simple que ça. Le grand moment de la cinquième pulsation. Qui valait bien la première, désormais il en était certain.

Seth n’était pas amoureux d’Ellie. Il était simplement attiré par elle. Ou bien si ? Si il était plus qu’attiré ? C’était quoi amoureux ? Non d’un chien, ce n’étaient pas des questions qu’un Audacieux avait à se poser !
Lorsqu’elle s’était détachée de ses lèvres pour s’éloigner au pas de course, fuyant, il avait eu mal au cœur. Pour faire bonne figure devant ses Novices désormais ses égaux, il lui avait fallut une sacrée dose de courage. Il était parti à sa recherche, sans jamais la trouver du reste de la journée. De fait, il ne la trouvait plus du tout. Il savait qu’il devait la voir, pour mettre les choses au clair au moins en lui même, mais elle avait disparu, elle l’évitait constamment. Il détestait être à nouveau loin d’elle, à ce point loin qu’il ne pouvait même plus se moquer. Même lorsqu’ils se croisaient ils n’étaient pas ensemble, ils se parlaient en termes complexes pour nommer des choses techniques, à chaque pas qu’il faisait vers elle, elle reculait.
Elle n’allait pourtant pas toujours s’éloigner. Le temps d’une nouvelle initiation arrivait de nouveau, et avec lui la promesse de retrouver de façon quotidienne sa blonde amie. Ou plus. Ou moins désormais, que fallait-il penser ? Il la regardait lorsqu’elle ne le regardait pas, et il savait qu’elle faisait de même à son tour quand il ne faisait pas attention.
Tout le monde autour captait leurs regards et leurs sourires, sauf eux. Il fallait bien que ça bouge, non ? D’une façon ou d’une autre.