Les nuits dans les quartiers des novices étaient plus courtes qu'autres choses. Entre les pleurs de certains, les ronflements d'autres et le bruit si particulier et peu agréable des ressorts grinçant de nos divers lits alors que nous tournions et tournions encore à la recherche de notre famille, de nos amis, de nos espoirs. L'initiation des sincères n'était pas le plus difficile physiquement, mais il pouvait l'être moralement. Comment ne pas se sentir perdu et étrange, quand on connaît toutes les pensées des autres, que chaque pensée est dévoilée au monde ? Certes, nous l'avons choisi, mais malgré cela, nous espérions tous parvenir à cacher ne serait-ce qu'un minimum de choses, garder une partie d'intimité qui ne nous été pas permis. Le choc avait été rude. Notre dortoir n'était qu'une grande pièce, nos toilettes et nos douches communes. Et si l'on peut s'adapter rapidement à dormir avec une dizaine d'autres personnes, le fait de devoir aller aux toilettes et se doucher alors que n'importe qui peut me regarder me fait toujours si étrange.

Le soleil entrait finalement par les vitres de notre dortoir et je me lève à l'instant même ou je vois les lueurs orangées apparaître au loin. Tant que les autres dorment, j'ai le temps d'aller m'asseoir sur les toilettes et faire ce que j'ai à faire sans que personne ne puisse me voir ou m'entendre, sans oublier cette douche rapide que je prenais, nerveuse, surveillant que personne ne se lève, ni ne m'observe dans mon état de nudité. J'y fais tant attention que, lorsque le premier d'entre eux viens enfin à se réveiller, je suis vêtue d'un haut blanc et d'une jupe noire. Bien sûr, on continue de m’appeler la pète sec, on me traite de vieille fille prude qui a trop peur que l'on voit ses fesses d'une blancheur lunaire, mais je m'en fiche. J'ai ce qui s'appelle de la pudeur, ce qui n'a rien à voir avec eux ou mon engagement pour ma nouvelle faction.

J'attendais ainsi quelques minutes, que les autres se lèvent, se préparent et m'accompagnent jusqu'à la salle à manger commune. Oui, je n'ai pas envie d'y aller seule, normal non ? Suivant ainsi le reste de mes condisciples jusqu'au réfectoire. Chacun s'installa, pris de quoi manger et le petit déjeuner passa ainsi, dans les discussions, les débats, les rires et les mécontentements. C'était bruyant, trop bruyant presque sachant que j'ai été élevé dans le silence des repas solennels, mais pas déplaisant. Je parlais de temps à autre, mais bien trop bas, pour que quiconque m'entende réellement. Je n'ai pas encore appris à m'affirmer selon certains, mais qu'importe, cela viendra. Je serai un sincère tout comme Anthéa Blake, je serai belle et respectée et les gens seront fier de moi. Ouais, beau rêve, mais qui ne se réalisera sûrement jamais. 

Le repas terminé, je rangeais mon plateau, abandonnant mes camarades. Nous avions quartier libre aujourd'hui, ce qui était extrêmement rare. Alors autant en profiter. Je quittais donc le bâtiment, parcourant les alentours, profitant de la chaleur et du soleil qui était déjà bien haut dans le ciel. L'été était là vraiment me suis-je dit et je pensais aussitôt à ma mère et ma sœur. Elles devaient distribuer de l'eau aux sans faction ou rejoindre les vergers fraternels pour une journée de cueillette dans la bonne humeur. Cela me manquait en un sens. Mais ce n'était pas le moment de se laisser emporter par une nostalgie inappropriée. Mes pas continuèrent de me porter calmement jusqu'à un endroit verdoyant où je pourrais me poser et profiter de la journée quand une tignasse bouclée à souhait me fait sourire. Jarvan traînassait devant moi. Je l'interpellais aussitôt, lui faisant un large signe de main, comme pour l'inviter à m'attendre. Peut-être ne serais je pas seule au final.