Partie I : 2264 - Les Sincères

Il y avait une ambiance chaleureuse dans la maison, on trouvait des hôtes jusque dans le jardin, leurs voix animaient l’après-midi de plomb choisi par Mr. Holtby pour recevoir les amis. Le jeune Spencer s’assit au milieu des adultes dans le salon, d’autres enfants suivaient d’une oreille distraite la conversation des adultes. La coutume voulait qu’on en dissimule le moins possible aux enfants sur les vicissitudes de la société et il n’était pas rare que Mme Holtby interpelle les petits sur la nécessité des valeurs de la faction lorsque la conversation débouchait sur une anecdote quelconque. Spencer eut un sourire railleur vers son ami lorsque sa mère raconta son altercation avec une Érudite dans les années 40. L’assistance acquiesçait invariablement lorsqu’elle attendait qu’on lui confirme qu’elle avait raison à chacun des passages marquants, y compris Mr. Holtby.

Spencer trouvait sa mère très critique mais aimante en général, elle lui témoignait souvent de l’affection et il lui semblait aussi qu’elle avait toujours raison. Les propos de ses parents sonnaient toujours comme une évidence, il savait que le monde était plein de mensonges et d’intrigues, au contact des adultes tout se confirmait sur les principes qui animaient ses parents et l’entourage proche : Avant tout l’honnêteté. Parfois il arrivait que Mr. Holtby note soigneusement certains secrets personnels pour les révéler plus tard. Spencer s’y mettait parfois avec sa sœur – d’un an sa cadette - et au cours d’une soirée en famille chacun s’allégeait d’un poids. Parfois ce n’était pas trivial du tout, lorsque Mr. et Mme Holtby se fâchaient ou que l’humeur d’un des deux ne prêtait pas à l’amusement.

Il y avait de la discipline dans la famille, on s’imposait une certaine droiture mais pas dénuée d’orgueil. Mr. Holtby était juriste et avocat pour les industrielles de Western Trust et sa femme était gestionnaire des comptes dans la Cité. Même si ces notions étaient assez éloignées de ces préoccupations et de ses intérêt présents, il y avait chez Spencer une certaine fierté à être du côté des justes, des Sincères. D’après ses parents, on ne s’accaparait rien d’autre que ce qui nous revenait de droit, il n’y avait pas d’excès ni de suffisance.

Mr. Holtby se tourna vers Spencer, il avait l’air d’avoir invité deux autres convives à suivre ce qu’il allait dire. Ces situations avaient quelque chose d’embarrassant pour Spencer, il y avait une certaine indiscrétion dans la manière d’évaluer les enfants. Son père parla sur un ton solennel mais bienveillant : « Spencer, Quand as-tu menti pour la dernière fois ? » Il avait l’habitude de ces questions laconiques. Le défi n’était vraiment de dire la vérité, il fallait surtout la dire avec facilité, comme si on indiquait l’heure, en tenant compte que la personne, voire les personnes en face de vous, lisaient parfaitement votre physionomie. « Ce matin même. J’ai dit à Hope que Joshua l’aimait. » La sœur de Spencer ouvrit de grand yeux exorbités vers son frère. Joshua, son ami, tentait de garder un air stoïque mais ses joues rubicondes trahissaient ses sentiments. Mr. Holtby conclut en riant que ce n’était peut-être pas un mensonge, les deux hôtes s’esclaffèrent eux aussi.


Partie 2 : 2272 – "Je te tiens, tu me tiens..."

Il faisait beau au Square de Western Trust, mais cette matinée avait une autre visée que la détente. Les initiés étaient parsemés dans le square en attendant de débuter tous ensemble le dernier test, le plus important de leur vie, celui du Sérum de Vérité. Spencer était légèrement anxieux mais surtout parce que les visages autour lui l’étaient également. Il savait qu’il se hisserait à un bon rang, il avait confiance en lui, avec les autres Natifs on parlait surtout de ne pas se faire doubler par un Transfert. Spencer était attentionné avec eux mais il préférait que certaines de ces connaissances n’échouent pas derrière l’un d’eux. Certains disaient que l’honnêteté n’était pas imprégnée en eux, les Natifs les poussaient à bout parfois entre deux épreuves. Spencer était partagé entre la compassion et la dureté mais il avait la bonté de féliciter et d’épauler ceux qui ne s’effondraient pas.

Le plus difficile pour lui ça avait été la physionomie, chaque initié avait une manière bien à lui de cacher un mensonge. Il ne fallait pas prendre une vessie pour une lanterne, ni l’inverse. Son père était bon un physionomiste, il savait mettre les gens mal à l’aise, et ceux qui étaient trop confiant finissaient par céder. Il était avocat Mr. Holtby. Spencer décelait toutefois mieux le mensonge dans la physionomie et la gestuelle qu’il ne mentait. Il n’était pas le seul vue l’endroit où il se trouvait dans la Cité mais c’était parfois affligeant de fantaisie. Au moins les Sincères passaient de bons moments, c’était un peu le jeu de « Je te tiens, tu me tiens par la barbichette, le premier qui rira aura… » Peu importe quoi, Spencer n’était pas le moins imaginatif pour les réprimandes.

Les chuchotements inquiets laissèrent place à des bavardages plus relâchés dans le square, c’était comme si les initiés étaient maintenant plus prompt à en finir au plus vite qu’à repousser le moment fatidique. Mais le parc retomba assez vite dans un silence effarouché, il fallait maintenant converger avec les initiateurs vers le bâtiment apprêté pour l’occasion. Pour Spencer, le meilleur moyen de passer le test était de le voir comme un pont. Il voulait passer sa vie à dire la vérité, à la propager, à faire un avec elle… Il voulait être journaliste et faire honneur à sa faction.

Les chuchotements redoublèrent d’intensité lorsque le sérum fut présenté aux initiés, tous allaient faire le grand déballage. D’ailleurs Spencer compris qu’il fallait s’inquiéter des choses qu’on allait dire autant que de l’épreuve. Tout le monde était spectateur, les anecdotes sur l’événement qui avait lieu entre ces murs pourraient feraient un spectacle comique à eux seuls. Mais c’était surtout la fierté d’être devenu Sincères que l’on retiendrait.

Spencer s’avança vers le fauteuil sous le regard circonspect des autres. Il devait être le 8ème à s’adosser contre ce dossier. Il s’installa et on lui donna le sérum de vérité. S’ensuivirent des questions et des réponses, Spencer répondait avec calme même lorsque la réponse semblait difficile à libérer. Il était un Natif, il se sentait plein d’expérience à ce moment. Les regards posés sur lui étaient assez homogènes, c’était surtout de l’encouragement mais parfois l’un ou l’autre des initiés réprimait difficilement un sourire ou gigotait pendant un instant; Mais c’était le genre de réaction que les sept initiés passés avant lui se gardaient d’avoir. Quand Spencer se releva du fauteuil, il se sentait lavé, purifié, innocenté, oint de l’huile de la Sincérité. L’épreuve était plus éprouvante qu’il ne le pensait mais pas insurmontable.