Once Upon a Time
La naissance d'Ares était prévue, préméditée, jusqu'au jour de sa conception. Bellone, sa mère, issue d'une famille d'Audacieux dont les origines remontent à la naissance de la Ville, voulait un enfant, un garçon, pour l'élever et prendre la relève de son nom. Les Enyalios avaient donnés de nombreux, très nombreux Audacieux à leur faction, bien que de temps à autre, un Erudit ou un Sincère ne naisse de leurs rangs, et si le mariage n'était pas une coutume pratiquée dans la famille, c'était pour assurer la continuité du nom, de la tradition. Bellone était une belle femme intelligente et indépendante qui voulait le meilleur pour l'éducation de ses enfants, le meilleur pour la dynastie Enyalios dont elle était la dernière descendante, et elle s'aperçut rapidement qu'elle n'aurait le meilleur qu'en s'entourant de personnes compétentes. Au pluriel. Son projet n'aurait surement jamais pu aboutir dans une autre faction, mais elle trouva deux audacieux pour l'épauler, pour accepter sa vision des choses et pour partager sa vie, conscients sans doute que leur temps au sein de la faction était compté, que leur vie était précaire et qu'il valait mieux pour cet enfant avoir un plan de secours.
Ares naquit donc avec deux pères, sans que jamais l'un d'eux n'affirme sa paternité, sans qu'il ne sache réellement si c'était l'un d'eux qui l'avait engendré. Non que cela le dérange. Deux pères audacieux, c'était une assurance d'une bonne vie, d'une éducation complète et sans erreur, d'avoir toujours une personne présente à ses cotés à chaque moment de sa vie.
Son prénom, Bellone ne l'expliquait pas, comme elle n'expliquait pas celui de son frère, Adonis, ou de sa soeur, Aphrodite. Une réminiscence, pour les Erudits, une particularité de plus, pour les Audacieux. Peu importait de toute manière le prénom d'une personne tant qu'elle était capable de travailler, de grandir et de s'améliorer. Enfant, Ares n'avait pas de valeur en tant qu'être humain à part entière, n'était qu'un potentiel prétendant à la continuité de la famille, en compétition perpétuelle avec son frère, avec sa soeur aussi. Premier né de la famille, il avait eu pendant quelques mois la chance de recevoir une certaine affection, mais il était un bébé trop peureux, trop timide, un enfant qui se réveillait la nuit en hurlant suite à des cauchemars qu'il ne pouvait pas expliquer. Victime de terreurs nocturnes, il passait le plus clair de son temps avec l'un de ses pères, Izak, plus affectueux et plus à même de le prendre dans ses bras et de le consoler, que sa mère trop occupée ou de Yan, son deuxième père, plus dur et moins tolérant de sa faiblesse.
L'arrivée de son frère pour pallier à son apparente incapacité à être un Audacieux l'acheva, le mina plus encore. Encore tout jeune, il comprit toutefois qu'il était remplacable, échangeable, et en éprouva un sentiment de terreur le clouant au lit plusieurs jours, avant qu'il ne doive s'en sortir tout seul, sans aide. Yan n'avait pas supporté sa dernière "crise", et à trois ans, il avait décidé de le prendre plus fermement en main, quoi qu'en dise Isak. Plus de temps pour les calins, plus de temps pour les pleurs et les maladies, il fallait qu'il grandisse, qu'il aide, qu'il travaille pour gagner sa place. Yan l'avait emmené dans un terrain vague, pour lui montrer une fourmilière, et avait sous ses yeux écraser l'une d'entre elle dans la colonne, pour lui montrer comment les autres s'écartaient sans s'arréter, reformant la ligne par un détour, sans se préoccuper de leur soeur morte. Il lui avait dit que dans ce monde, il fallait être plus fort et plus malin pour s'en sortir, pour ne pas être une de ses fourmis, il lui avait montré les soldats qui protégeaient la reine et pouvait mordre, allant jusqu'à l'obliger à plonger la main dans la fourmilière et se faire attaquer pour ressentir cette douleur. Il y gagna une peur bleue des insectes.
Il y gagna aussi un objectif, imposé mais aussi personnel. Il fallait devenir plus fort que les autres pour qu'Adonis ne le rattrape pas, il fallait devenir plus fort pour que les Enyalios survivent une génération de plus, il fallait devenir plus fort pour être un Audacieux comme on en avait jamais connu. De poids, ces demandes devinrent une sorte d'espoir, une prière. Il le fallait. Il fallait supporter la douleur, la déception, la faim, la privation, l'ennui, la peur et la fatigue, supporter les charges, le combat, les cours, son frère, tout. Yan et Izak, voyant un changement en lui, une détermination construite peu à peu, changèrent aussi leur comportement, devenant plus demandeurs envers lui. Chaque jour, une nouvelle leçon, une prise à apprendre, un cours à réciter, une corvée à faire. Levé à l'aube, couché tôt et fourbu, il n'avait pas d'amis à l'école, mais il n'en voulait pas, l'histoire de ses deux pères ayant déja fait le tour des enfants, qui prenaient plaisir à railler ce qui leur était étranger. Il fallut apprendre à surmonter l'humiliation des récréations passées seul, la douleur des bizutages, sans avoir de secours à la maison. Lorsqu'il osait se plaindre, Bellone se faisait dure à son tour, lui rappelant qu'il devait être plus fort pour résister et qu'il n'aurait rien dans la vie s'il ne pouvait pas encaisser cela. Alors il encaissait, encore et encore, jusqu'à ce que cela ne lui fasse plus rien. On pouvait insulter sa famille devant lui, le frapper ou cracher sur son visage, déchirer ses affaires et le rouer de coups, l'enfant qu'il était regardait droit devant lui, au dessus d'eux.
Il rentrait le visage tuméfié, pour se faire soigner par Izak, il affrontait le regard critique de ses parents jusqu'à y apercevoir une lueur d'approbation face à son manque de plaintes, il supportait l'incompréhension des autres enfants d'Audacieux qui lui disaient de se battre. Jamais il ne s'était battu avec un autre enfant, et jamais il ne devait le faire, sa mère le lui avait bien assez répété. A huit ans, ses adversaires étaient ses parents, à dix ans, il se mit à affronter son frère. Lui aussi avait grandi, sans les terreurs, sans les doutes, suivant son exemple jusqu'à la copie conforme du port de tête, recevant cette même éducation sans se plaindre. Ares ne l'enviait pas de sa facilité à accepter leur vie, mais il le détestait quand même, parce qu'il était sa compétition.
Alors ils ne retenaient pas leurs coups, sous les yeux de leur famille, apprenant à se jauger, à esquiver, à se battre contre plus petit ou plus léger. Leur sœur tournait autour d'eux en riant, exhortant l'un ou l'autre à gagner, insouciante face à cette compétition qu'elle gagnait par un sourire. Ares avait souvent le dessus, mais pas toujours, et alors que les années passaient encore, ils apprirent à se connaitre physiquement assez pour que plus jamais l'un ne prenne l'avantage. Les affrontements finissaient toujours par leur fatigue, par le refus net de continuer, des larmes de frustration au coin des yeux. Parfois, Izak venait le voir pour lui offrir un peu de réconfort, Bellone essuyait ses larmes et l'embrassait sur le front, Yan y allait de sa petite tape sur l'épaule pour lui dire qu'il avait bien travaillé, mais la plupart du temps, il n'y avait que le silence et la frustration à lui répondre.
Il eut douze ans, en paraissait déja quatorze. Grand, musclé par la boxe et la course, il avait les meilleures notes aux épreuves sportives, il était bon élève, apprenant par coeur ses cours et faisant preuve de l'intelligence que lui avait donné sa mère. Les plus grands commencèrent à voir en lui autre chose qu'une proie facile, surtout les fils d'audacieux, qui remarquaient enfin le rival qu'il serait plus tard, et il dut subir encore plus les brimades. Test ou peur, il ne savait pas ce qu'ils tentaient de lui faire subir, mais il continua un temps à esquiver, à faire la sourde oreille, jusqu'à ce que son frère ne le rejoigne dans les classes supérieures et ne le regarde avec dédain et effroi mélangé, lui qui n'avait aucun mal à se faire des amis. Ce fut le dernier regard de trop, la cassure de sa carapace, et il craqua. L'adolescent qui l'avait plaqué contre le mur pour lui murmurer des insultes immondes avec une haleine désagréable ne comprit pas au départ ce qui lui arrivait, ni le reste de ce petit groupe qui l'entourait, alors que Ares frappait enfin, d'un geste de la paume en plein dans le diaphragme, précis, lui coupant le souffle et le faisant se plier en deux. Dans la seconde, il s'était dégagé, faisant volte face et utilisant la force du tour pour agripper la tête de l’agresseur et la fracasser contre le mur dans un choc sourd. Le bruit des os du nez se brisant sembla réveiller ses complices, mais il était déja trop tard, et il fallut deux adultes pour maitriser le jeune garçon et son frère, qui lui était venu en aide sans réfléchir. Mordant, criant, hurlant, il voulait continuer à se venger, à affronter ses ennemis jusqu'à les faire plier. Les deux enfants furent vite emmenés, cloitrés dans une salle jusqu'à ce que leurs parents arrivent.
Les deux frères, indemnes mais aux doigts couverts du sang des autres, avec une adrénaline élevée qui ne redescendait pas, les pupilles dilatées et la tension faisant trembler leurs membres.
Ils se regardèrent pendant de longues minutes, silencieusement, communiquant comme ils avaient appris à le faire lors de leurs combats, se jaugeant pour savoir s'ils allaient passer leur colère l'un sur l'autre, avant qu'Adonis ne fasse le premier geste et ne cherche à lui envoyer une chaise dans la figure. Et quand leurs parents arrivèrent enfin, ce fut pour voir Adonis passer par la fenêtre, brisant la vitre, poursuivi par son frère qui s'était laissé reprendre par cette rage aveugle qui effacait tout.
Rattrapé à temps par Izak qui le ceintura, Ares se prit alors une rouste devant plusieurs professeurs, jusqu'à ce qu'il reprenne ses esprits, tandis que Bellone faisait jouer quelques contacts et son intimidation naturelle pour que ce qui venait de se passer ne remonte aux oreilles de personne. Adonis était sur le coté, un sourire hésitant sur les lèvres d'avoir remporté par défaut leur bataille, étonné toutefois de voir son frère dans un état pareil, et le retour à leur domicile se passa dans un silence de mort du en partie à l'apathie soudaine du jeune homme. Ares avait fait preuve pour la première fois du caractère ancestral de sa famille, et sa mère hésitait à lui faire des remontrances pour quelque chose contre lequel il avait peu de prise. Une simple explication, un bol de soupe, et les deux enfants filèrent au lit, partageant pour une fois la salle de bain sans se crier dessus, soudés par leur journée.
Après cela, l'école fut plus facile. Les caids le laissèrent tranquille, les autres élèves aussi. Il passait son temps avec son frère, lui aussi ostracisé de son groupe pour ce comportement violent qui était bien étrange, même pour des Audacieux, et c'était mieux comme ça. S'entrainer en plein jour était devenu leur seul loisir, et ils prenaient tour à tour le rôle d'examinateur, imaginant des situations les plus absurdes les unes que les autres à donner à l'autre, pour voir sa réaction. Cela ne valait pas bien sur la drogue qui leur serait remise à l'initiation, mais ils faisaient de leur mieux.
Et puis Ares eut dix huit ans. Quatre ans s'étaient passés depuis son coup de sang, et il en avait eu d'autres, provoqués par ses pères, par son frère, finissant toujours mal mais lui apprenant à chaque fois à dépasser ses limites. Il savait se contrôler, il savait respirer dans la panique, il était plus fort qu'Izak, plus grand que Yan. Sa mère avait le regard brillant de le voir passer son test, et plus aucun doute n'émergeait de ses yeux clairs, parce qu'elle faisait face à un véritable Audacieux, fort et courageux, droit et intraitable. Adonis était jaloux, mais attendait son heure, Aphrodite était ravie de voir son frère partir et gagner sa propre chambre.
Il passa les tests. Fut prédestiné Audacieux avec un profond regard d'effroi mêlè de dégout de l'examinateur devant sa réaction aux dangers, sa froideur et son calme. Malgré les questions de sa famille, pendant les jours suivants, il garda le silence sur le résultat du test, n'ayant de toute façon pas besoin d'en parler à ses pères, qui le savaient déja. S'enfermant dans sa chambre, pour penser, pour savourer ses derniers moments d'adolescence, il ne se tourmentait pas quand au choix, qu'il avait fait des années auparavant, mais être si près du but était tout de même épuisant.
La cérémonie du Choix se passa dans une sorte de brouillard pour Ares. Il n'écouta pas le discours, n'applaudit pas les nouveaux Audacieux, ne remarqua pas les transferts, les pleurs ou les joies. Il avait les yeux rivés sur les charbons, attendant d'entendre son nom, comme au jour d'une bataille. Dés qu'il entendit "Enyalios", sans attendre la suite, il s'était déja avancé sans un regard en arrière pour les siens, s'ouvrant la main sans frémir et le visage inexpressif, rejoignant pour de bon la caste qui était la sienne. Les visages autour de lui étaient amicaux, il reconnut certains d'entre eux comme des amis de la famille, de son frère, ses nouveaux frères d'armes à lui, mais il n'arrivait pas à sourire, à se réjouir. Il avait fait ce qu'il devait faire depuis toujours, et il en était fier, mais il n'était pas heureux, simplement soulagé.
Les jours qui suivirent furent eux aussi plein de péripéties, avec l'Initiation, la drogue qui avait enfin pénétré ses veines pour en être éjectée sans trop de mal. Oui, il avait affronté ses peurs, il les avaient surmontés même, ne s'emballant vraiment que face au rejet virtuel de sa famille, son exclusion chez les Sans-factions. Là, son corps s'était arqué contre les liens qui le retenaient au fauteuil, là il avait fallu qu'il se maitrise, qu'il reprenne son souffle, faisant le vide en lui comme après une rage, jusqu'à ce qu'enfin son coeur ne retrouve le rythme normal et qu'on le laisse revenir à lui. Les combats, il les passa haut la main, brutal et efficace, ne laissant pas franchement une chance à ses adversaires. Courir sur les toits était jouissif et il s'y plut beaucoup, tirer n'était que la continuité de son entrainement, il était dans son élément, sans peurs ni sans inquiétudes. Tout ça n'était que la suite logique de sa vie, ce pourquoi il avait travaillé, et quand il voyait des transferts refuser le combat ou trébucher, il les aidait à sa manière. Les prendre par le col pour les empécher de tomber, les secouer jusqu'à ce qu'ils l'attaquent, les insulter pour les obliger à reprendre la course, il ne manquait pas de façons à lui d'intégrer les transferts, s'attirant leur haine sans broncher. Ses résultats, sa place sur le podium, tout ça fit plaisir à ses parents, fiers de leur fils, mais lui continuait à faire plus, à vouloir plus, concentré seulement sur le travail. On lui proposa d'entrer chez les Nightingale, il accepta. S'entrainer encore plus dur, se dépasser, rentrer le soir le corps couvert de bleus, fourbu et s'endormir sans penser à rien, voilà ce pourquoi il vivait. Il n'était rien d'autre, il ne voulait être rien d'autre, et quand il passait le soir en patrouille sur le toit d'une maison de Sincères ou de Fraternels et entendait des rires et des chansons, il n'avait aucun pincement au coeur à l'idée de rester seul à jamais.
Six mois plus tard, il avait fini l'entrainement, était dur et froid, méthodique, meilleur pour le combat rapproché que pour les tirs à distance, mais suffisamment doué pour pouvoir tuer sans être vu. Six mois plus tard, Yan se faisait blesser lors d'une rixe entre Audacieux et Sans factions, et Ares se rendit enfin compte que ses parents n'étaient ni éternels ni invincibles. Par chance, il se remit rapidement, mais semblait avoir vieilli plus rapidement, et les rares fois où Ares mettait les pieds dans son ancienne maison, il sentait la différence, l'écart qui se creusait entre ses capacités qui augmentaient et celles de ses parents qui baissaient peu à peu. Adonis avait grandi, encore, le dépassant de deux têtes, leur petite soeur aussi se faisait plus maligne et téméraire, mais il n'était plus à sa place. Les Enyalios ne restaient pas ensemble passé l'enfance, il le savait, et il finit par ne plus y retourner, se complaisant dans le travail, l'entrainement, et son nouveau colocataire Nightingale, Gengar. A cette époque, il commença à avoir des aventures, tard surement comparé à d'autres, mais comme pour le reste, il finit par s'y habituer, par y trouver son compte. Il se mit à apprécier l'acte, les caresses, toucher quelqu'un sans avoir l'intention de le blesser. Gengar était agréable à l'oeil et il était normal pour lui d'essayer avec lui, sans qu'aucun tabou ne le gène. Ils étaient deux hommes, certes, mais Yan et Izak n'étaient pas blancs comme neige non plus, et il avait perdu toute pudeur dés sa petite enfance. Alors il profitait, et profite toujours, sans chercher à s'attacher, sans chercher à se stabiliser.